Quel schéma pour le traitement des déchets ?


Tahiti, le 21 novembre 2023 - Le 18 octobre dernier, le gouvernement de la Polynésie française, dans son conseil des ministres, évoquait la mise en place d’un nouveau Schéma territorial de prévention et de gestion des déchets de la Polynésie française (STPGD). Tahiti Infos s’est procuré le document qui devrait être étudié ce mercredi par les communes et les différents autres partenaires. 

 

“Ce document stratégique jettera les bases de l’action du Pays dans les domaines relevant de la prévention en matière de production des déchets et également en matière de la gestion des déchets, pour l’ensemble de nos archipels pour les dix prochaines années”, expliquait, le 18 octobre dernier, l’extrait du compte-rendu du conseil des ministres qui évoquait la mise en place d’un nouveau Schéma territorial de prévention et de gestion des déchets de la Polynésie française (STPGD). “Outre les bénéfices environnementaux indéniables, cette stratégie favorise la réduction des déchets à la source, contribue à maîtriser les coûts de gestion, à optimiser nos ressources limitées et à encourager des pratiques plus durables au sein de nos industries et de nos communautés.” 

Cinq orientations étaient alors évoquées. L’optimisation de la gouvernance, la prévention et réduction des déchets, la valorisation des déchets, le stockage et l’enfouissement des déchets et l’optimisation de la gestion des déchets dangereux. Ces cinq orientations sont déclinées en 90 actions. 

Ce projet de schéma territorial a été transmis aux communes de la Polynésie française et aux organismes intercommunaux afin de recueillir leurs avis et observations. Tahiti Infos s’est procuré le document de travail préparé par le Direction de l’environnement qui sera étudié ce mercredi avec le Syndicat pour la promotion des communes de la Polynésie française (SPC-PF) et plusieurs représentants du secteur concerné. 

 


Le constat d’un trop peu face au trop plein

Ce schéma est rendu nécessaire par un constat. “Compte tenu du développement économique et de l’accroissement de la population depuis les vingt dernières années, la production d’ordures ménagères ne cesse d’augmenter”, explique le document de travail. “Ceci est particulièrement préoccupant dans les zones urbanisées et dans les zones fortement touristiques. Les îles basses, bien que moins habitées, sont également des milieux particulièrement fragiles et exposés en raison de la faible superficie de terres émergées et de la présence des lentilles d’eau douce à faible profondeur.” 

Dans ses constatations, l’administration ne se voile pas la face. “La plupart du temps, les déchets sont envoyés vers des décharges, plus ou moins bien gérées par les communes. Nous entendons par ‘décharge’ un site accueillant des déchets et qui ne bénéficie d’aucune autorisation administrative, une décharge est donc illégale”, constate le document qui rejoint la Chambre territoriale des comptes dans de nombreuses constatations sur le sujet dans ses rapports sur les communes du Fenua. La mise en place de ce schéma devient dès lors essentielle pour “définir des objectifs, orientations et actions en matière de prévention et de gestion des déchets pour l’ensemble des archipels de la Polynésie française” et pour “faire de la Polynésie française une destination reconnue pour ses efforts en termes de préservation de la qualité de l’environnement” pour séduire les touristes, entre autres. 


Revoir l’économie et les compétences

Alors que le traitement des déchets est, depuis 2004, de la responsabilité des communes, la Polynésie française entre dans son rôle afin d’établir la politique territoriale de cette gestion. Afin d’aider ces communes, bien souvent peu ou mal organisées, le Pays propose, dans un premier temps de “récupérer à son compte la compétence en matière de collecte et traitement des déchets dangereux”, ce qu’il fait déjà pour les îles, hors Tahiti et Moorea. 

Contraint dans ses solutions de traitement, le document de travail n’exclut pas non plus de “s’engager dans un modèle plus durable” et prône l’économie circulaire qui “vise à limiter la consommation et le gaspillage de ressources, contenir l’impact environnemental de nos activités et favoriser l’allongement de la durée d’usage des ressources”

“Le véritable défi du territoire est maintenant la mise en œuvre de l’ensemble de ces dispositifs, qui nécessitera l’implication et la coordination de l’ensemble des acteurs de la chaîne : producteurs, ménages et entreprises, gestionnaires, collectivités en charge de l’organisation des services publics, opérateurs, institutionnels…”, conclut le document de travail.


La gouvernance et les moyens financiers 
 

Premier axe du document de travail du Pays, l’optimisation de la gouvernance et des moyens financiers. Plusieurs pistes sont ouvertes comme l’optimisation des recettes ou encore le renforcement du principe du pollueur-payeur. La piste du partage des compétences est encore à l’état d’ébauche et doit être pour sa part discutée avec tous les acteurs, mais le constat est déjà établi de longue date que “les modalités de financement de ces services ne couvrent jamais le coût réel”, avec des communes qui facturent aux usagers bien en-deçà des coûts qui devraient être pratiqués (de 53 à 57% du coût). “L’absence de mise en place de redevances entraîne des difficultés de financement des modes de gestion des déchets”, explique le document de travail du Pays qui poursuit : “Un report de la date d’échéance de l’équilibre des budgets annexes des collectivités imposé par le Code général des collectivités territoriales (CGCT) semble inévitable”. Repoussée un nombre incalculable de fois, la mise en place de cette compétence prévue dans le cadre du CGCT pourrait à nouveau être repoussée à la demande du gouvernement et des tāvana qui se sont tour à tour “refilé la patate chaude” depuis 2004. 

De plus, pour tordre le cou aux propos de la mairie de Faa’a qui estime que Fenua ma facture un service trop cher, la Direction de l’environnement explique qu’“il faut toutefois être conscient que l’augmentation des coûts de gestion est souvent liée à la fois à une méconnaissance préalable des coûts réels, ainsi qu’au processus de structuration de filières qui viennent répondre à des besoins réels”

Toujours dans les aspects financiers, la mise en place d’une responsabilité élargie des producteurs (REP) est aussi envisagée. “Dans ce dispositif, les producteurs, c’est-à-dire les personnes responsables de la mise sur le marché de certains produits (producteurs, importateurs et distributeurs), peuvent être rendus responsables de financer ou d’organiser la gestion des déchets issus de ces produits en fin de vie. La mise en place d’une filière REP signifie le transfert de la responsabilité, et donc des coûts, de la gestion des déchets aux producteurs. Il s’agit d’une application du principe pollueur-payeur”, explique le document. Les activités mécaniques et industrielles, le secteur de la santé et les producteurs d’emballages seraient concernés. 

Enfin, le document de travail préconise aussi la mutualisation avec la mise en place d’intercommunalités sur la question des déchets. 


La prévention et la réduction des déchets 
 

Pour économiser sur le traitement des déchets, le mieux est encore de ne pas en produire. Pour aider à ce constat, plusieurs préconisations sont faites comme la mise en place de composteurs individuels ou de quartiers, l’interdiction des sacs plastiques en caisse, l’interdiction de la vaisselle en plastique à usage unique et, sur un moyen terme, l’interdiction des bouteilles en plastique à partir de 2028. 

Parallèlement, une sensibilisation au réemploi, à la réutilisation et à la réparation devra être menée avec le développement de ressourceries, l’écoconsommation, la promotion de l’utilisation d’alternatives aux textiles sanitaires, l’économie d’eau, la lutte contre le gaspillage alimentaire et le développement du principe de consignes. 


Valorisation des déchets 
 

Le recyclage des déchets verts et biodéchets est des solutions pour faire baisser drastiquement le tonnage des déchets ménagers. Pour aller dans cette direction, le document de travail fourni par la Diren propose plusieurs solutions. Compostages individuels et de quartiers, accompagnements dans l’apprentissage, formation de maîtres composteurs ou encore mise en place de broyeurs collectifs par les mairies pour les déchets verts de gros calibre (branches, etc.) 

La collecte des déchets verts par les communes est aussi une piste. Il y a une grande différence entre certaines d’entre elles comme Arue, ou le ramassage se fait une fois par semaine, et Mahina, où le ramassage se fait, au mieux, une fois par mois. “Les gains envisageables sont importants, incluant une production de compost de l’ordre de 40% des volumes entrants et une réduction des volumes résiduels à enfouir à 5%”, explique le document. 

Même chose pour les déchets ménagers qu’il faudra chercher à valoriser. La production d’énergie ou la méthanisation industrielle sont des pistes à ouvrir. Le problème sera essentiellement financier puisque, comme l’indique le document de travail, “la méthanisation constitue le mode de traitement des déchets verts le plus coûteux en termes d’investissement”. Même chose pour les unités d’incinération de moyenne capacité qui demeurent exploitables uniquement sur Tahiti et Moorea. 


Le stockage et l’enfouissement des déchets 
 

“La Polynésie française compte à ce jour huit centres d’enfouissement techniques de catégorie 2 et/ou trois bénéficiant d’autorisation d’exploitation au titre des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) mais également de multiples dépotoirs sauvages ; ce sont les principaux exutoires des déchets non dangereux”, résume la Diren. À côté de ces centres, la décharge de Faa’a est un cas singulier. Véritable honte écologique, la décharge de Mumuvai est ouverte sans autorisation d’exploiter ni aménagements. Dépourvue de système de collecte de traitement des biogaz générés par la décomposition des déchets, à l’origine de fréquents incendies, la décharge est pourtant maintenue en activité malgré les risques “d’explosion et d’inhalation de gaz toxiques”. La mairie s’était pourtant engagée à fermer cette poubelle à ciel ouvert en 2023. Les autorités attendent toujours. 

Sur le stockage et l’enfouissement des déchets, il n’y a finalement pas de solution miracle, l’important étant de valoriser le maximum de déchets possible avant stockage. Contre les dépotoirs sauvages, reste toujours la possibilité de développer des mini-CET, malgré les contraintes foncières et les coûts. À ce jour, plus d’une centaine d’anciens dépotoirs sont recensés sur le territoire. Des sites qu’il faut désormais surveiller et réhabiliter. Mais mettre un terme à la poubelle de Faa’a coûterait environ 500 millions de francs, contre 70 et 110 millions de francs pour les décharges de Papara et Punaauia.  

Presse à balle, broyeurs et compacteurs sont des options pour réduire les zones de stockage ou d’enfouissement. 


La gestion des déchets dangereux 
 

Huiles usagées, batteries, déchets industriels, piles… La liste des produits dangereux en Polynésie française est longue. Des points de collecte ont été mis en place, notamment à Tahiti. C’est l’un des points positifs du document de travail. Ces déchets sont assez bien suivis en Polynésie française, jusqu’aux déchets d’activité de soin (risques infectieux, médicaments, etc.). Il reste cependant un gros travail à faire concernant les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE), surtout leur rapatriement sur Tahiti pour traitement. 


Rédigé par Bertrand PREVOST le Mardi 21 Novembre 2023 à 18:16 | Lu 2609 fois